mardi 28 septembre 2021

Brutalisme, David Le Golvan (sans Crispation éditions)

 Il s'appelle Rodolphe. Il est marié, père de deux garçons, et exerce le métier d'architecte. Jusqu'au-boutiste, il a lui-même conçu les plans de sa maison. Et on peut facilement imaginer ce que ça peut donner, une maison d'architecte conçue par un architecte : de beaux volumes, des pièces lumineuses où il fait bon de se retrouver après une dure journée de labeur, le rêve quoi. Un rêve qui a cependant ses limites. Celles que semble lui imposer une femme (dentiste) autoritaire, des gamins tout entier acquis à la cause de cette dernière, et des parents qui, l'ayant imaginé à tort reprendre l'affaire familiale, une agence immobilière?, lui font payer très cher ses envies d'ailleurs et de liberté. Quant à son associé, il ne partage avec lui que le minimum : un projet de construction d'immeubles en zone urbaine.

> Car, et c'est l'un des éléments clés du livre, Rodolphe travaille à la rénovation d'un quartier sensible (la Surville, comme il l'appelle, construite sur un plateau !) de sa commune, là où résident principalement des familles issues de l'immigration. Il s'agit de repenser son organisation spatiale afin de favoriser le vivre ensemble, thématique bien connue des quartiers défavorisés. Seulement, lors de l'inauguration de l'une de leurs créations (l'Ammonite), en présence d'élus locaux, survient un imprévu : l'irruption, dans le hall de réception, d'un collectif de locataires en colère qui fait de Rodolphe sa principale cible. C'est précisément à partir de là que commence à se mettre en place un mécanisme pervers qui, alors qu'il rebat peu à peu les cartes d'un jeu n'ayant plus rien de drôle, nous donne à voir l'envers d'un décor qui semblait jusque là immuable, au point que ce que nous commencions à subodorer se manifeste de la façon la plus brutale qui soit. A savoir la destruction de tout un édifice à la fois social et familial, cela jusqu'aux liens qui en unissaient étroitement (trop étroitement ?) les membres qui le constituaient.
> C'est violent, imparable, clinique. Et c'est abasourdi que l'on assiste dès lors à la désintégration totale d'une structure - celle de la famille, d'un édifice - celui de la maison d'architecte soudain transformée en camp retranché où chacun est devenu l'ennemi de l'autre (le parallèle avec le Jack de Shining est ici aisé à faire), celle, enfin, d'un être qui, sans doute, portait déjà en lui les prémices de son propre effondrement.
> BRUTALISME raconte donc de manière brillante, la structure narrative (le narrateur parle à un enregistreur !) y est bien sûr pour quelque chose!, l'histoire d'une folie en devenir, celle aussi de l' anéantissement programmé de l'Individu, folie dont on saisit d'emblée la portée et le caractère universel avec ce sentiment, très fort, que ce qui arrive à Rodolphe, cette tragédie qui se déroule quasiment sous nos yeux, pourrait être la nôtre. Et c'est là qu'est tout le talent de David Le Golvan. Dans Brutalisme, cela ne tient qu'à un fil, celui, ténu, de la raison. Rodolphe ne peut opposer quoi que ce soit qui pourrait contenir les effets pourtant dévastateurs de ce qui semble être une véritable "montée en puissance d'un profond et inaliénable désir de liberté.
La scène finale - une longue cavale à travers une rue piétonne -  est dramatique. Pose cette éternelle question, assez banale par ailleurs : comment peut-on en arriver à détruire ce que l'on a mis tant de mal (mais cela en valait-il vraiment la peine!) à construire? Le rictus "à la Shining" que l'on devine sur le visage de Rodolphe (la folie qui l'a envahi l'a littéralement défiguré, transfiguré ?) nous donne un élément de réponse : en effet,  on peut y voir l'expression rageuse d'une infinie jouissance, celle d'avoir enfin pu mettre un terme à ce qui semblait être une grotesque mascarade. A savoir une vie construite selon des critères de réussite trompeurs et  fallacieux. Brutalisme, conte moraliste ?
Ce sera au lecteur de décider.

Brutalisme, David Le Golvan

Sans Crispation éditions

Parution le 15 octobre (en prévente sur le site de l'éditeur)

mercredi 28 juillet 2021

 

Partir à "la chasse au snack", le mors aux dents.
"Qu'ont-ils donc en commun, les douze auteur(e)s du premier recueil "collectif" de l'histoire récente de Sans Crispation éditions, si ce n'est que la plupart d'entre eux sont inconnus du *grand public*, ce dont on se moque bien, n'est-ce pas...? Un, tous sont vaccinés... contre certain discours ambiant qui tend actuellement à empoisonner notre quotidien. Deux, une rage toute jouissive de dire et d'écrire, une envie indéfectible d'explorer, par le langage, certaines zones de turbulences internes et/ou externes, celles où peu osent s'aventurer, sans doute par peur ou en raison d'un flagrant manque de curiosité. Voire de créativité... l'un n'allant pas sans l'autre. Dans ce recueil dense, solaire, sauvage, cruel, parfois très drôle aussi, il sera beaucoup question, allons pour ce fusionnant et syncrétique néologisme, d'hum-animalité. Le corps, y compris dans son acception minérale ou végétale, y est omniprésent. Des corps parfois hybrides aux frontières du monstrueux, métamorphiques. Le tout nous ramenant subtilement à ce dont nous sommes faits, au delà de la chair, des os et du sang. Et nous reconnectant donc à notre "nature profonde", cosmique. Un chat voltigeur et acrobate se jouant habilement des lois de la pesanteur, un poulpe résolument sensuel et anthropophile, un poisson rouge, carassius auratus, maîtrisant parfaitement le Verbe, un singe génétiquement modifié ressemblant à un jeune élu social démocrate. Voilà pour le casting. Pour le moins délirant! Parfois, il s'agira de corps savamment mithridatisé (doux poison d'une débauche totale... de succulentes énergies !), ou encore fragmenté, éparpillé, erratique... de corps-ponts embrassant plusieurs espaces à la fois. Mais aussi de corps sublimé, existant en dehors de sa simple "fonctionnalité", car désirant et désirable. Joyeux. Gai et étincelant. Ou à l'inverse meurtri, blessé, coupé dans son élan. Toute une mythologie du corps. Un corps mythique.
Mais il y a aussi, et bien sûr, le talent incontestable des auteurs et autrices qui rayonnent dans ce recueil. Car il en faut nécessairement pour parvenir à créer et faire advenir la petite étincelle qui permettra de nous émouvoir et de nous faire vibrer, nous, lecteurs. De nous amener ailleurs tout en nous réconciliant avec nous même, avec ce que nous portons en nous de l' autre qu'il soit humain ou non, en tant que source de vie et d'énergie. Pourquoi pas d'espoir ? Un talent réel, une ouverture d'esprit rare à notre époque.
Pour en savoir plus sur ce recueil, le lire, ce que je vous recommande vivement, c'est ici:
 
 
 
http://crispation-editions.fr/commandes/nouvelle-sans-crispation/
 
 

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