A la lecture de ce roman - le travail sur
la langue y est quasi orgiaque -, l'on comprend très vite que les monstres de
Lartas sont, par leur cruauté sans limite – nous y sommes dépecés, démembrés,
ratatinés, sodomisés, parqués dans des camps -, nous ressemblent comme deux
gouttes d’eau.
Le malaise que l’on éprouve, une fois
entré dans ce qui pourrait s’apparenter à un musée des horreurs superbement
bien rendu – les descriptions des scènes de lynchage et autres énucléations y fourmillent
de détails que l’on pourrait, ayant fait abstraction de la cruauté qui s'en dégage, qualifier de croustillant -
et l’on pense dés lors à Dante et à sa Divine
comédie – réside donc dans ce postulat, rien ne naissant de rien.
Christophe Lartas nous tend un miroir dans lequel nous nous reconnaissons dans
notre capacité à enfanter des créatures à la toute puissance effroyable, prompte
à détruire et à réduire en bouillie tout ce qui vit et bouge.
Pour autant, au regard de notre
insatiable besoin narcissique de nous penser tels que des créatures d’exception
dans un univers dont nous serions la seule et unique mesure, il y a la
révélation d’un monde pluriel (les titans et autres monstruosités biologiques)
dont l’infinie diversité donne le vertige, fait prendre conscience de ce que
l’Homme est! A celles qui ont été provoquées par Copernic, Darwin puis Freud,
s’ajoute une autre blessure qui lui est violemment infligée : quand il se
croyait au-dessus de tout, il n’est rien de plus qu’un atome dans l’immensité !
Et nul n’y échappe. Le tableau est d’une
noirceur absolue. Femmes, enfants, artistes, philosophes, chercheurs, des plus
anciens aux plus modernes, asservis ou rebelles, participent, par leurs œuvres
et leurs actes, de cette sombre débâcle cosmique. Le Mal, nous dit le
narrateur, est consubstantiel à la vie, à toute création ainsi qu’à ses auteurs, voués, pour cette raison, à disparaître dans la « vacuité du
temps », à mourir comme ils ont vécu, à savoir « inconscients et
aveugles »… Ne survivent à ce carnage, le notre et celui des traces que
nous aurons laissées derrière nous comme autant d’ombres insignifiantes, qu’un
livre, donc, et son narrateur, un narrateur « désubstancié », éclairé
et éclairant (un être de pure lumière, un pacificateur ?), qui pages après
pages nous assène la preuve de notre hideur : nous sommes « mauvais »,
tout comme l’est tout ce que nous touchons ou créons, et comme le sont
également les dieux de notre triste panthéon ! Reste la question de la
responsabilité. L’Homme avait-il la liberté, le choix moral d’être autre ?...
La seule bonne nouvelle de ce roman,
c’est que, quoiqu’il advienne, il y aura toujours quelqu’un, quelque part, sous
une forme ou une autre, pour raconter et écrire des histoires – ici la notre, ce qui démontre une fois de plus que la littérature nous est aussi indispensable que respirer.
Roman philosophique, moraliste ?, donc, qui interroge sur la place de l’Homme à
l’échelle cosmique, sur sa nature (l’homme
est-il par nature un être moral?). Si l’on en croit le narrateur, il n’a guère
plus de valeur ontologique qu’un grain de poussière ou que l’infime partie
d’une goutte d’eau dans le plus vaste des océans qui a donc pour seul mérite
celui d’exister et qui, de fait, ne saurait avoir de conscience morale ! Demeure
ce texte surprenant, parfois difficile de lecture de par sa noirceur absolue,
riche comme je le disais, post-apocalyptique, dont on peut penser raisonnablement
qu’il aura été composé à une époque largement postérieure à la notre, et aura
donc échappé au carnage final, à l’effacement définitif, et donc au pire des
scénarios qui, pour nous, puissent s’imaginer…