« Hirondelle
ou martinet » : des nouvelles (très) iconoclastes de SCS. Ou la
« campagne » revisitée.
(Aux
éditions de l’Abat-Jour)
Après avoir lu les 18 nouvelles qui
composent le recueil de Serge Cazenave Sarkis, « Hirondelle ou
martinet », publié aux éditions de l’Abat-jour, on pourrait se poser la
question suivante sur les « origines du Mal : qu’est-ce qui fait qu’un
jour on puisse retrouver un homme pendu « à une poutre métallique »
et sa compagne « à ses pieds, nue et égorgée comme un mouton ».
N’attendez pas de réponse ! Une famille entière est-elle décimée
(« Madame Jacket ») par une grand-mère apparemment bien sous tous
rapports ? Encore un peu et on l’en excuserait presque. La raison (si ce
mot peut encore avoir un sens !) : un journal dans lequel la
grand-mère a consigné avec un luxe de détails aussi croustillants que la
carapace d’un insecte ses horribles crimes !
Les chiens (« que rien n’effraie,
pas même la main du tueur » - Monteclair) sont autant d’oiseaux de mauvais
augure que tout ce qui compose notre univers, mais aussi des témoins, voire des
acteurs privilégiés. Le Mal est « trans-espèce ». Toute caresse, même celle d’un chien,
suspecte. Tuer sa propre progéniture handicapée, un acte de bienfaisance! La
fille de vos voisins est d’une grande beauté ? C’est, nous rappelle
aussitôt SCS, « tout comme leur chien, leurs voitures, leurs manières,
leurs amis » (« Sans répit »).
Très vite, on suppose que celles-ci, ces
histoires où l’on compte les cadavres par dizaines, pourraient avoir pour cadre quelque
village de la Somme ou de la Creuse. De la France « profonde ». Les
fleurs y sentent bon… la vengeance et le ressentiment.
Aussi, les gens qui y vivent ressemblent-ils
à de « vieux ronciers », parfois « taiseux »,
« robustes » (« Le gonze »). Et, pour certains d’entre eux, l’artiste, devine-t-on, doit-il être
une « absurdité », une « hardiesse ». Quant à le
payer ? Foutaise. Ont-ils seulement des yeux pour voir et apprécier une œuvre
d’art ? Oui. Mais des yeux « injectés de sang, gonflés à péter comme
des tomates cerises gorgées de soleil ! « (on admirera la
métaphore !). La « campagne » dans tous ses états, donc. Ils
(ces « gens ») y respirent un air « d’une jolie couleur pelure
d’oignon jaune ». Et les immeubles, s’il en existe, s’y
« fanent ». La peinture, l’art en général, y sont tout aussi
suspects. Nous sommes à l’ère de la photographie. Et tout devient possible.
Même le pire. Surtout le pire !
Vivre à la campagne (pour y planter des
morts, l’automne de préférence !) est également pour certains un rêve
d’enfant. (Le rêve de trop?). Encore faudrait-il comme le narrateur de la nouvelle avoir pour
épouse une femme qui, trop frustrée, devient « désagréable et
tyrannique ». Pour s'en débarrasser? La tuer, se muer en « dragon cracheur de feu »! Comme dans « Une lettre »,
l’on « s’y déteste avec délectation », dans ces petits villages de
province. Les impasses y portent de drôles de noms « celui du « Grand
four » dans « Pignon désaccordé ».
Les vieilles horloges ? Elles n’y
sont pas plus légères (« Temps mort ») de « s’être vidée de tant
de temps ! ». (Pour de nombreux personnages, tuer le temps semble une
nécessité absolue !). Et les jeunes gens y « bougent leurs bras comme
les poules battent leurs ailes sans jamais pouvoir s’envoler ». (Parce que
tuer est tout un art et donc, pas à la portée de n’importe qui !).
« Rient en imitant le cri des corbeaux ». Et, dans les pâleurs de
l’aube, on peut parfois « y distinguer, affutés comme des poignards (volants ?), des dents de ragondins".
La « campagne » est-elle ainsi
dépeinte par SCS comme n’étant plus immuable. La révolution technologique y a apporté, comme partout
ailleurs, son « lot d’innovations ». (Y auraient tout désorganisé ?). Et, si les blés y poussent, ressemblant à ceux
figurés par Vincent Van Gogh (les allusions à la peinture sont légion chez
SCS), ce n’est que dans l’imaginaire encore vivace de ceux qui, bon gré, mal
gré, y vivent encore sans répit.
L’humour, cette « politesse du
désespoir », s’y manifeste avec un certain éclat (le pyjama imprimé de
bandes dessinées de Gotlib !).
Comme dans « Désordre »,
l’avant dernière nouvelle du recueil, a-t-on
l’impression, à lire SCS, que le « tueur », même quand il n’est
qu’apprenti (l’apprentissage de la vie passe par celui, inéluctable, de la mort !)
en s’envisageant dans une « carrière de malfaisant », s’invente une
fonction, un rôle social qui, au final, le transcende : celle d’empêcheur
de tourner en rond, de fauteur de trouble, de « remiseur » en cause
d’un certain ordre établi synonyme de désordre. Pour reprendre les mots de SCS,
l’univers est « un immense foutoir ». Un univers en partie gouverné
par le Mal où tout peut arriver. Y compris (mais ce serait un moindre mal!) tomber
amoureux d’une guenon. Voire tuer sa propre femme !
L’ensemble est servi par une langue riche
de descriptions et d’inventions. Et les mots y pissent le sang. Ont parfois
la tristesse d’une chanson de Léo Ferré.
« Hirondelle ou martinet », de
Serge Cazenave Sarkis, aux éditions de l’Abat-Jour.
Philippe Sarr
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