Au bout de trente minutes, un type sur ma gauche m’a fait signe de m’arrêter. La salle de conférence de la médiathèque était enfumée. Des gens dans le fond venaient d’allumer leur cigarette, malgré l’interdiction.
Au diable la rigidité cadavérique...
De toutes façons, j’avais fini, dit l’essentiel ou presque de ce que j’avais à dire. Et avais même un peu débordé ! C’était la première fois que je m’adressais de la sorte devant un public aussi nombreux, des jeunes d’un lycée de banlieue qui avaient effectué un travail sur la littérature de S-F américaine des années 60. Leur prof leur avait fait lire quelques ouvrages, dont Ubik et Le maître du haut château. On m’avait demandé de leur faire un petit rappel, donc, quitte à bousculer les clichés et les idées reçues. Je pouvais parler de tout : drogues, alcool, sexe…
J’ai attrapé la bouteille de Vodka qu’un type me tendait et en ai bu quelques gorgées en me demandant quelle image ces jeunes conserveraient de moi ! Celle d’un cinglé !
En sortant, une petite blonde m’a fait signe de la suivre. Elle était franchement belle, avait des cheveux longs, bouclés. Un ange tombé du ciel !
J’ai commencé à délirer, à me débattre dans des zones marécageuses. La fatigue, l’effort d’une réflexion dense et ardue, un lien pas évident du tout entre un auteur de S-F américain qui considérait sa vie comme un songe et un philosophe de l’absurde pour qui l’homme était condamné à de vaines et inutiles révoltes, ça n’avait pas été simple, niveau argumentaire ! Tandis que je regardais Sonia, j’ai failli tomber en heurtant une chaise. La jeune femme m’avait pourtant dit de faire attention mais il était déjà trop tard. Elle a juste eu le temps de me saisir par la manche de mon blouson au moment où je perdais l’équilibre.
Impressionnante de vivacité.
Je lui ai emboîté le pas. On a traversé de longues et sombres coursives dans les sous-sols. La médiathèque, construite sur un pont suspendu me faisait penser au Bateau ivre de Rimbaud ! Bientôt, on s’est retrouvés dans une grande salle toute capitonnée. Y avait un de ces bordels ! Des chats, des chiens, un chimpanzé, un boa constrictor, un aigle des Pyrénées, ça en faisait du beau monde !
Je me suis installé dans un fauteuil en cuir noir, entre le chimpanzé et le boa constrictor.
- Je viens de lui faire sa mise en plis, a plaisanté Sonia.
Je me suis senti bizarre tout d’un coup. J’ai repensé à ce que j’avais bu. Au nombre de verres de Vodka que j’avais ingurgités tellement j’étais inquiet à l’idée d’intervenir en public. Mais non, je ne rêvais pas. C’était bien un boa constrictor qui était en train de s’enrouler autour de ma jambe, la gauche, la plus sensible, qui la serrait de plus en plus fort, au point que je ne pouvais remuer mon gros orteil ! D’une petite tape sur la queue, Sonia lui a intimé l’ordre d’arrêter de me martyriser. Bébert, c’était le nom du boa, a aussitôt desserré son étreinte en poussant un drôle de cri, déçu que les choses s’en arrêtent là, sans doute. Puis, il est allé se lover sous le canapé en tirant une de ces gueules. Ca avait eu l’air de l’amuser terriblement ! N’empêche, je me suis senti mieux, après, ai commencé à respirer à nouveau normalement. A prendre mes aises. Mais, les autres ont rappliqué, menaçants, certains montrant même les crocs ! Ca leur avait pas plu que je vire leur petit pote.
J’ai laissé passer l’orage puis suis allé me verser un verre de Vodka. Au passage, j’ai attrapé une olive verte dans une coupelle posée sur une table basse. Pour ce faire, il m’a fallu donner un grand coup de pied à Bébert qui avait recommencé ses conneries. J’en avais assez d’être le souffre douleur d’un serpent hystérique et visiblement mal dans sa peau, de me faire broyer la cuisse, sans compensation sexuelle ! Ce truc m’a donné confiance en moi. Un moment, j’ai même fiché la trouille au chimpanzé, lorsque je me suis levé pour aller ramasser un noyau d’olive par terre de peur que Bébert l’avale et s’étouffe avec. Je suis allé derrière un rayonnage de bouquins, là où on stockait les vieux nanars promis au pilon. O divine surprise ! Deux tortues géantes se faisaient l’amour, tête bêche, sur un bouquin de Brautigan. J’ai enjambé la balustrade. C’était assez haut mine de rien, une dizaine de mètres, mieux que le record du monde de saut à la perche de Bubka ! C’était tentant quand même ! Alors, lorsque je me suis lâché, j’ai éprouvé une drôle de sensation. Ca a du durer quelques 10é de secondes, à peine. Une ivresse totale, absolue.
Mes deux tortues géantes sous le bras.
Depuis La nuit, toutes les nuits je vais dans le parc et je regarde les étoiles! Les étoiles sont jaunes… OK ! J’aime les étoiles…
Je sais plus qui a écrit ça !
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