La vraie fausse
interview de Philippe Sarr
- Philippe Sarr, bonjour…
- Bonjour…
- Ca va ?
- Et vous même?
- Vous aimez le thé!
- Essentiellement
les thés noirs…
- « L’été noir », le titre de votre
prochain roman!
- Bravo, comment avez-vous deviné ?
- J’ai mes informateurs…
- Han, han ?
-
Vous venez de publier un recueil de nouvelles
intitulé « ARCADIE » chez feu Kirographaires…
- Oh, là, doucement!
- ... et vous voilà sous le feu des projecteurs!
- Je n’ai volé ni tué personne pourtant ! En
tout cas, pas mon éditeur !
-
C’est vous qui le dites !
- OK, j’ai publié un recueil de nouvelles. Assez
sombres contrairement à ce que pourrait laissait entendre le titre. Je n’aurais
pas du peut-être…
-
Ah bon ! Pourquoi dites vous ça ?
- C’est toujours pareil. Vous écrivez quelque
chose, dans la seconde qui suit la publication de ce que vous avez commis, on
vous tombe dessus comme si vous aviez égorgé votre concierge : qu’avez-vous
voulu dire, exprimer, quelle était votre intention ?...
- Ca vous agace donc ?
-
Non, mais ça peut devenir barbant que de devoir s’expliquer
sur tout et sur rien, sur son emploi du temps, ses mobiles, ses fréquentations,
pourquoi pas vos habitudes alimentaires… vous voyez, là, je vous donne du grain
à moudre…
-
Du grain à moudre ? Vous écrivez plutôt le
matin, le soir ?
- Ca dépend. Résidence alternée oblige !
-
Ah ! Des enfants en bas âge ?
- Deux magnifiques Fox terrier âgés de 3 et 5
ans !
-
Vous plaisantez ?!
- Pas du tout… les chiens sont devenus très à la
mode vous savez. Les écrivains de plus en plus assimilés à des chasseurs de
mots. Je m’en rends de plus en plus compte. Et, comme vous ne l’ignorez pas,
tout chasseur sachant chassé sans son chien… enfin laissons…
-
OK. Je vois où vous voulez en venir… Bon, un
petit mot sur le titre quand même - ARCADIE ?
- Une référence à PKD…
-
PKD ?
- Philip K.Dick… Dans une conférence donnée à Metz
en 1980, si ma mémoire est bonne, il y fait une brève allusion…
-
L’Arcadie gréco-romaine ?
- C’est ça…
-
Vous parliez d’habitudes alimentaires tout à
l’heure… Vous publiez beaucoup ?
- Très peu… Je vends aussi très peu si c’est cela
que vous vouliez évoquer (je vous vois venir avec vos gros sabots tout croteux !).
Autrement dit, pas de quoi m’offrir un voyage à Bora Bora !
-
Vous le regrettez ?
-
Pas du tout. Je dirais même que cela m’arrange
d’une certaine façon. Je ne supporte pas la foule. N’importe quel type de
foule !
-
Vous fréquentez très peu alors ?
-
Tout à fait. Jetez donc un œil sur ma
bibliothèque… Beaucoup de livres,
certes, mais très peu d’auteurs… Beaucoup d’écrivains, d’artistes auxquels je
reste fidèle en somme.
-
Vous êtes un solitaire…
- En cela que lorsque j’écris, je suis nu. Comme
un ver ! C’est pour moi la meilleure façon de pénétrer l’esprit des gens que
je m’apprête à corrompre !
-
Vous invoquez Hannah Arendt dans la nouvelle qui
ouvre le recueil…
- Une auto-invitation. Comme le font la plupart de
mes personnages. Elle s’est dit un soir où elle se promenait dans les parages,
tiens, de la lumière, alors j’entre ! (Vous n’ignorez pas que beaucoup des
nouvelles de ce recueil ont déjà fait l’objet d’une première publication sur un
site en ligne, l’Abat-Jour, pour ne pas le nommer, des gens très bien, très
intelligents à qui je continue d’ailleurs de « confier » mes
textes…). Dans ce cas précis, je n’ai pas hésité une seule seconde. Hannah
Arendt a été une femme exceptionnelle au caractère bien trempé. Une auteure qui
a été pas mal controversée…
-
… vous dites « aussi »…
- Oui. Quand « ARCADIE » est sorti, on m’a un peu
reproché la même chose, la violence qui s’y exerce, un peu gratuite. Plus une
certaine inintelligibilité, un côté « foutraque » - le fou qui traque
son lecteur, vous savez ! – et bordélique ! Alors que j’avais commis
bien pire avant. Comme dans « VOX POP, un truc que j’ai publié il y a
quelques années, et où je mets en scène
des personnages complètement schizophasiques
qui racontent tout et n’importe quoi ! On n’y comprend presque
rien… et ici le « presque » a son importance, parce que j’ouvre des
portes, des fenêtres pour que le lecteur puisse y respirer un peu. Au milieu de
ce fatras, un fatras très bien organisé, contrairement aux apparences, je distille des bouts d’histoires auxquelles
le lecteur perdu peut éventuellement se raccrocher. Des bouées de
sauvetage ! Un risque à prendre que j’ai donc pris sans regret ni remords !
Aussi, quand on me parle d’Arcadie comme d’un texte illisible, JE ME MARRE ! Je me dis « si vous
saviez » !
-
Vous avez récemment commenté un texte de Georgie
de Saint Maur – Le Père Fétiche, sur le site des éditions de l’Abat-Jour…
- Parfaitement ! Et je me suis régalé. Comme
jamais ! C’est un texte intelligent que j’ai pris énormément de plaisir à commenter
justement parce qu’il n’enfermait pas le lecteur dans un type de lecture
particulier et qu’il s’enrichissait, se nourrissait des commentaires laissés
par nous, lecteurs-joueurs, en même temps qu’il nous enrichissait sur le monde
et sur nous mêmes… Une expérience magnifique !
-
Puisque nous y sommes, quelle valeur
« nutritive accordez-vous à vos écrits ?
- Je ne sais pas. Ce n’est pas à moi de le dire…
Je trouve en tout cas certains d’entre eux bien moins indigestes que certains autres
textes écrits par des auteurs plus connus et réputés plus chevronnés. Après,
c’est une question de goût ! Mais bon, le goût, ça s’éduque !
-
Bien. Parlez nous de votre relation si
particulière et privilégiée avec PKD…
- Ce serait un peu long à expliquer… Disons qu’il
y serait, si je devais m’exprimer là-dessus, grandement question d’amitiés…
d’amitiés sulfureuses et délirantes… En fait, je m’aperçois maintenant que j’ai
toujours côtoyé des gens un peu barrés… Des types ou des nanas que la vie avait
abandonnés sur la grève et dont le radeau s’était échoué… une très belle
allégorie de la vie je trouve… Les gens
normaux m’ont toujours fait peur et parus TRES suspects, au fond. Être normal
est une incongruité à laquelle je ne peux souscrire. Vivre n’a rien de normal…
VIVRE EST AU CONTRAIRE QUELQUE CHOSE DE TERRIBLEMENT ET DE FONDAMENTALEMENT
BIZARRE. Quand je me lève le matin, je me pose toujours la question de ma
présence ici… En fait je suis dans une
sorte d’étonnement quasi permanent.
-
Vous parlez d’étonnement ? Vous aimez
étonner, surprendre. A la lecture de vos nouvelles on a parfois l’impression que
finalement, rien n’a d’importance. Que tout est ambigu. Dans l’un de vos
commentaires, à propos du Père Fétiche, vous parlez d’escalier complètement
foldingue qui part un peu dans toutes les directions… Cet escalier est assez
caractéristique de vos nouvelles. Quand on y entre, on ne sait pas trop où l’on
va. Pire, vous mentez sur la destination !
Esprit d’escalier ?
- Esprit tordu, en effet. Je pense que c’est nécessaire
pour aborder le monde dans lequel on vit et qui ressemble à une espèce de
galerie marchande où rien n’est précisé sur ce que l’on pourrait y trouver….
-
Comme au Bowling ?
- Je déteste…
-
Autant que la tartiflette ?
- Pas vraiment…
-
Qu’est-ce qu’un écrivain, aujourd’hui ?
- UN TYPE de plus en plus
« numérisé » !
-
Vous êtes un adepte de l’édition
numérique ?
- J’imagine la gueule que ferait l’homme de Neendertal
si on lui disait que le papier a définitivement relégué ce qui leur servait
autrefois de support d’impression au rebut ! Pour moi, l’opposition papier/numérique
n’a pas de sens. Comme de dire que le numérique est mieux ou pire que le papier.
L’important c’est ce qu’il y a dedans…
Il n’y a que cela qui compte… Le reste c’est du pipeau…
- Les pipeaux sont fabriqués à partir d’un
matériau qui est le même que celui qui sert de base à la fabrication du
papier !
- Votre perspicacité me ravit !
-
Pour en revenir à votre « esprit
d’escalier », fabriqué à partir de
chanvre indien, je suppose ?
- Je n’en sais rien. C’est pas parce que je l’ai
écrit que je crois que cela existe. Vous faites un dangereux amalgame mon cher !
-
Mon cher ? Comme le dernier auteur que vous
avez lu ?
- Michaux ! Poteau d’angle… Oui.
-
Dans votre nouvelle « Imperfiction »,
vous dites, vous déclamez que l’artiste ou l’écrivain et l’assassin sont
quasiment de même constitution…
- J’ai écrit ça, moi ?!
-
Page 100 : « L’artiste, l’assassin,
même école, même combat… ».
- Peut-être en ce sens que l’un comme l’autre sont
d’éternels et farouches révoltés… Qu’ils s’étonnent également de tout…
-
Que pensez-vous du Cannabis charentais ?
- Ah… Sa formule chimique m’a été soufflée par un
ami cognaçais justement auquel je dédie la nouvelle à laquelle vous faites
allusion... Il m’a initié au Cognac !
-
Vous aimez le Cognac ?
- Je veux mon neveu ! C’est une boisson aux
vertus impressionnantes ! J’y ai puisé beaucoup de mon inspiration ces
derniers temps ! C’est un breuvage qui a la capacité de vous transformer
en profondeur, qui laisse des traces bien au-delà de la simple cuite qui,
elle, vous bourre et vous débourre quasiment dans le même mouvement !
-
K.Dick préférait le Bourbon je crois !
- Et alors ?
-
Vous parliez de « groupes d’appartenances…
- Ca n’a rien à voir ! Et là, en
l’occurrence, il s’agirait plutôt de « groupes de références » !
J’ai un peu de mal à vous suivre !
-
Tout comme on a du mal à vous suivre
parfois ! Vous pourriez donner quelques précisions au lecteur quant à ce
fameux « vagin » dont il est question dans la première nouvelle du
recueil ? Par ailleurs, vous affirmez qu’Hannah Arendt était
clitoridienne… D’où tenez-vous cette info ?
- D’elle même ! Que croyez-vous donc !
Que j’affirmerais des choses comme ça, sans savoir ? Le vagin auquel je
fais référence, je vous invite à relire la nouvelle mon gars !…
-
Bon, et bien merci pour ce premier contact, hein…
Et à bientôt !
- Pas de problème. Ce sera quand vous
voulez !
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