Amuse-Bec, de Thierry Girandon (Crispation
éditions)
Difficile de
parler d’un recueil (une douzaine de nouvelles) quand ce dernier – je devrais
dire « ces dernières », tant l’ensemble s’avère être d’une rare
homogénéité dans le sombre et le tragique – vous a cloué le bec, précisément.
Parce que des expériences de lecture comme celle-ci, extrême et sublime, ont la
rareté d’une comète venue traverser votre ciel sans crier gare.
David Laurençon,
qui a publié le recueil, a dit de Girandon qu’il est sans doute l’un des tous
meilleurs novellistes qu’il lui ait été donné de lire. Et on ne peut que le
croire !
Sexe et alcool sont
omniprésents dans ce recueil, histoire bien sûr de clouer le bec à un quotidien
rythmé par la froideur glaciale de nos « tubes cathodiques ». Pas
drôle, donc (quoique l’on se surprenne parfois à rire de l’infortune ou du
cynisme de certains personnages). Mais d’une efficacité redoutable.
Aussi, le
plaisir est-il là, niché dans chacune des phrases du recueil qui se déroulent
comme un long ruban noir parsemé d’éclairs foudroyants et poétiques (d’une
poésie qui vous consume) : « Le temps s’était égaré quelques part… L’alcool
véhiculait dans l’esprit de ses gonades mille photogrammes pornographiques…
L’après-midi s’écoulait ainsi, comme des eaux usées… Le soir, avant de sombrer,
ils regardaient ces écrans qui réfractaient leur misère sauf quand la lune s’y
reflétait… un bonbon si ténu qu’il fond comme un flocon de neige venu par
mégarde d’un autre hémisphère… Dans la clarté polaire de la nuit, les flocons
étaient noirs, et regarder au-delà des étoiles piquait les yeux… Par un trou du
toit, il voyait une belle lune ronde et blanche comme le cul d’une tasse en
porcelaine, et une chiée d’étoiles qui semblait la décoration kitsch d’une
assiette… « .
Girandon nous
dépeint par petites touches subtiles (on pense parfois à Carver), un monde à
l’agonie, dématérialisé, dans lequel la misère court de rues en rues, de terrains
vagues en terrains vagues. Chaque personnage – Louise, Marie, Bernard, Raoul…
semblent s’être égarés dans un monde « de paillettes », hantent ces
nouvelles comme des fantômes hystériques rêvant leur propre mort et la nôtre.
Prélude à un dernier tour de piste « avant l’abêtissement final de
l’humanité (…) penchée au-dessus du gouffre des tablettes numériques… »
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